Lettre "D"
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[DEA->DEN]

DEBELLARE SUPERBOS
Renverser les superbes (VIRGILE, Énéide, liv. VI, v. 852).
Les Romains voulaient paraître cléments et modérés après la victoire. Énée, descendu aux Enfers, voit passer sous ses yeux les ombres des héros et des générations futures ; son père Anchise lui montre l'avenir brillant réservé au peuple romain. « D'autres, s'écrie-t-il, seront plus habiles dans l'art d'animer l'airain, et de faire sortir du marbre de vivantes figures. Toi, Romain, voici ton rôle : soumettre l'univers à tes lois, épargner les vaincus, dompter les superbes. »
L'Angleterre est loin de pratiquer la maxime de l'ancienne Rome, debellare superbos. Elle aime plutôt à écraser les faibles, et s'arrête volontiers devant une résistance qui sait faire croire à une énergie persévérante.
Revue de Paris

DECET IMPERATOREM STANTEM MORI
Un empereur doit mourir debout.
Vespasien, empereur romain, avait dépassé sa soixante-neuvième année, lorsqu'il fut attaqué de la maladie qui le conduisit au tombeau, non par de vives souffrances, mais par un affaiblissement progressif. Conservant jusqu'au bout sa sérénité d'âme, il tournait en plaisanterie l'apothéose qui allait lui être décernée. « Je m'aperçois que je commence à devenir dieu », disait-il gaiement, à mesure que sa situation devenait désespérée. Malgré son extrême langueur, il n'interrompit pas un instant ses occupations accoutumées ; il vaquait aux affaires, il donnait audience dans son lit ; enfin, se sentant défaillir, il fit un dernier et suprême effort pour se lever, disant : Decet imperatorem stantem mori, puis, s'étant fait habiller, il expira entre les bras de ses officiers.
Daquin montra de I'héroïsme à son heure dernière. A l'âge de soixante-dix-huit ans, retenu dans son lit par la maladie qui venait de le frapper et qui I'emporta huit jours après, Daquin pensait à la fête de saint Paul, qui s'approchait. « Je veux me faire porter à mon orgue, c'est là que je dois mourir : Decet imperatorem stantem mori. »
CASTIL-BLAZE
Brummel, ruiné, voulait faire belle contenance jusqu'à la fin : Decet imperatorem stantem mori. Il mourut en effet sur la brèche ; il parut le soir même au balcon de l'Opéra, et, à minuit, le beau n'existait plus. Brummel, fugitif, n'emportant guère qu'une vingtaine de mille francs, courait incognito sur la route de Douvres, et débarquait à Calais avant que ses créanciers eussent soupçonné son départ.
Revue de Paris

DECIPIMUR SPECIE RECTI
Nous sommes trompés par l'apparence du bien.
Horace (Art poét., v. 25) dit que les poètes se laissent séduire par l'apparence du bien, c'est-à-dire du beau, du grand et du vrai. Il n'est pas nécessaire d'être poète pour tomber dans cette erreur, qui n'est que trop générale.
A notre époque, Cartouche et Mandrin, déguisés en banquiers, supputent publiquement et, au besoin, établissent en justice le capital dont ils disposent. « On ne fait pas pendre un homme qui dispose de cent mille écus », disait insolemment un traitant du siècle dernier qui avait mérité la corde. Aujourd'hui non seulement on ne pend pas un tel homme, mais on lui rend tous les honneurs : Decipimur specie recti.
Pierre LEROUX
L'homme est fait pour la vérité, et il en a un tel besoin, qu'il ne peut être trompé que par ce qui en a l'apparence : Decipimur specie recti.
BAUTAIN

DE COMMODO ET INCOMMODO
De l'avantage et du désavantage.
On a ordonné une enquête de commodo et incommodo, c'est-à-dire une information ayant pour objet de constater les avantages et les iconvénients d'une entreprise qui n'est encore qu'en projet.
Rien de plus arbitraire que la législation sur les établissements insalubres. Pour obtenir I'autorisation, il faut une requête au préfet ; la transmission de la demande à toutes les municipalités, dans un rayon de cinq kilomètres autour de I'établissement à fonder ; une enquête de commodo et incommodo dans chacune des municipalités, etc., etc.
J. SIMON
Pendant qu'on dispute en France de commodo et incommodo, et qu'on fait des enquêtes solennelles à l'effet de savoir des propriétaires de forges s'il leur convient qu'on introduise en France les fers étrangers, la Belgique agit...
NISARD

DE GUSTIBUS ET COLORIBUS NON EST DISPUTANDUM
Des goûts et des couleurs il ne faut pas disputer.
Proverbe des scoliastes du Moyen Age, qui est devenu un proverbe français.
De gustibus non disputandum, cet adage reste pour la consolation des artistes malheureux.
Revue des Deux-Mondes,
Salon de 1839
La science des sons est une source féconde, intarissable d'altercations ; Castel et Poncelet ont su fort adroitement se soustraire à l'humeur inquiète des critiques. On ne doit disputer ni des goùts ni des couleurs, de gustibus et coloribus non est disputandum.
CASTIL-BLAZE

DELENDA CARTHAGO
Il faut détruire Carthage.
Ces paroles par lesquelles Caton l'Ancien terminait tous ses discours, quel qu'en fût le sujet, s'emploient pour faire allusion à une idée fixe dont on poursuit avec acharnement la réalisation, à laquelle on revient toujours. La chute de l'empire Irançais était le delenda Carthago de tous les discours de William Pitt.
Je me reproche d'avoir demandé, comme bien d'autres, la suppression des parlements en 90. Lorsque je disais d'eux delenda est Carthago, c'était une erreur et une injustice où il entrait même de l'animosité personnelle, car j'avais à me plaindre d'eux.
LA HARPE
L'opposition doit regretter le ministère du 15 avril. Il ne lui fallait aucun effort d'imagination pour remplir les colonnes de ses journaux. C'était tous les jours la même chose. Le delenda Carthago dispensait d'invention, d'éloquence et de justice. On avait sur chaque événement des phrases toutes faites.
Revue de Paris
Avec des gens dont la discrétion lui était connue, madame d'Épenoy terminait la conversation par cette phrase non moins inévitable que le delenda Carthago de Caton, ou le vote du général Bertrand, pour la liberté illimitée de la presse : « Aidez-moi donc à marier cette pauvre Alphonsine. »
Ch. De BERNARD
Caton ne répétait pas plus souvent dans le sénat romain delenda est Carthago, que Siéyès dans son salon : Il faut briser la constitution de l'an III.
Benjamin CONSTANT
Nous ne cessons de demander la suppression des abus inhérents au privilège de la Comédie Française. En vain parle-t-on de nouveaux règlements, de nouvelles mesures administratives ; demi-mesures, répressions factices, replâtrage inutile ! Delenda est Carthago ! Nous aurons la constance de Caton pour le répéter.
MAZÈRE
Deux ou trois honorables penseurs sont exaspérés contre le latin ; ils ne seront heureux que le jour où le malheureux latin sera chassé du collège comme un écolier qui ne sait pas le latin. Cette langue morte leur fait jaillir l'écume à la bouche : Delenda Carthago, s'écrient-ils en latin.
Revue de Paris
Tout enfant, M. de Montalembert avait fait contre l'université le serment d'Annibal, et il lui avait juré haine et guerre éternelle. Ce fut là, durant dix-huit ans, sa conclusion réitérée et acharnée, son delenda Carthago.
SAINTE-BEUVE
La semaine parlementaire n'a été signalée que par une philippique de M. de Tracy contre le latin et les plaidoyers anniversaires contre l'esclavage ; à pareils mois, certaines bouches et certaines oreilles s'ouvrent pour répéter et entendre les mêmes paroles. Caton a rendu un bien mauvais service au genre humain en inventant son delenda Carthago ; depuis Caton, chaque orateur a son delenda sur son agenda ; il revient à jour fixe comme une comète, et les Carthages restent debout.
Revue de Paris

DELICTA JUVENTUTIS MEAE
Les fautes de ma jeunesse.
L'abbé de Bernis a fait quelques ouvrages qui sont plus à la louange de l'écrivain que du chrétien. Dans sa vieillesse, quelqu'un, pour le flatter, lui parlait de ses premières productions. Il détourna la conversation, en disant : Delicat juventutis meae ne memineris. « Oubliez les fautes de ma jeunesse. »
Les fautes de la jeunesse se rachètent par les vertus de l'âge mûr, parce que, si la-jeunesse ne les justifie pas, du moins elle les excuse, elle les explique. Pardonnez-moi les fautes de ma jeunesse, delicta juventutis meae : c'est le cri que le roi David mêle sans cesse à ses prières et à ses gémissements.
C'est aux fautes de la jeunesse qu'on peut appliquer surtout ce beau vers : Dieu fit du repentir la vertu des mortels...
FONTANES. - Voilà donc d'où vient tout le succès de cette femme (Sophie Arnould), qui n'a, du reste, rien de merveilleux : une figure longue et maigre en diable, une pâleur de morte, une vilaine bouche, et des dents qui s'agitent comme les notes du clavecin.
DORAT. - Ah voilà ! cette vilaine bouche est une bouche savante sur tous les chapitres. Tout l'esprit de l'amour a passé par là. Et puis, elle fait si bien, qu'on ne lui voit que les yeux. Deux beaux yeux n'ont qu'à parler : Delicta juventutis meae ne memineris, Domine.
Arsène JOUSSAYE

DENTE SUPERBO
D'une dent dédaigneuse.
Horace (liv. II, sat. VI, v. 87) fait une peinture charmante du dédain avec lequel le rat de ville goûte au frugal repas du rat des champs, qui pourtant apporte du raisin sec et des morceaux de lard, et cherche par des mets variés à vaincre le dégoût de son hôte, qui touche à tout d'une dent dédaigneuse, dente superbo.
Ce rat de ville était le plus superbe rat.
Effleurant chaque mets, sa fierté dédaigneuse
Les laissait retomber d'une dent paresseuse.
DARU
Le héron de La Fontaine voit des tanches sur l'eau :
Le mets ne lui plut pas ; il s'attendait à mieux
Et montrait un goût dédaigneux
Comme le rat du bon Horace.
Si, par malheur pour ces gourmands consommés, ils sont admis à un banquet dont le bon coeur et l'économie ont dirigé le service, ils sont comme effrayés des viandes ordinaires qui, quoique succulentes, des entremets communs qui, quoique délicats, ne peuvent plus procurer à leur palais blasé, les sensations doucereuses qu'ils recherchent ; on les voit, semblables à ce rat dédaigneux de la fable, ne toucher aux mets que du bout des dents : Dente superbo.
Galerie de Littérature

DENTIBUS ALBIS
En montrant des dents blanches.
Dans ses Proverbes dramatiques, M. Théodore Leclercq montre une profonde connaissance du monde et de ses usages. Ses paysans, ses valets, ses soubrettes, ont également leurs moeurs, leur physionomie, leur jargon particulier. S'il touche à la politique, il n'est pas exclusif, et sa justice distributive écarte jusqu'au soupçon de la partialité : il fronde, il persifle, mais toujours en riant, comme Horace, dentibus albis.
SAINT-MAURICE
Revue de Paris
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